DOCUMENTATION
Extrait : pages 251 à 268
Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
Mots-clés
Prévention précoce, protection des premiers liens affectifs, triade papa-maman-bébé,
conjugalité, fonctions paternelle et maternelle.
Parmi les facteurs d’environnement qui favorisent ou entravent
le développement du bébé, le climat relationnel et affectif du
couple parental s’avère d’une importance primordiale. Dans
l’ouvrage Psychopathologie de la périnatalité et de la parentalité écrit
sous la direction de Jacques Dayan (2014), la qualité maritale est le
premier facteur de vulnérabilité cité. Selon les auteurs de cet ouvrage,
la discorde au sein du couple prédispose aux troubles des conduites
chez les enfants d’âge préscolaire. Un conflit assez ouvert est source
de perturbation pour l’adaptation : les enfants apparaissent mal
assurés et perturbés lorsqu’ils se trouvent exposés à de tels conflits. Le
déséquilibre est plus grand lorsque les nourrissons sont exposés aux
violences physiques entre les parents. Lorsque le conflit entre adultes
est lié à l’enfant, celui-ci est plus susceptible de se montrer anxieux et
déprimé. Le contenu du conflit et son mode de résolution est également
important.
À l’inverse, l’intimité parentale influence positivement le développement
du nourrisson. Ainsi les parents qui se font confiance et se
soutiennent mutuellement, résolvent leurs conflits et restent proches,
ont des nourrissons qui ont très peu de difficultés et qui manifestent
une bonne adaptation. L’intimité a été associée à un attachement
sécure, même mesuré avant la naissance ! En effet, les progrès de
l’épigénétique 1 et de la connaissance de la vie intra-utérine donnent
à penser que cela se vérifie dès la conception. Selon Catherine Dolto
(2016) l’influence du stress sur l’embryogenèse et le développement
foetal est maintenant prouvée. L’état actuel des recherches à ce propos,
à partir des expériences et des observations sur les animaux, est très
____________
1. L’épigénétique désigne dans son sens actuel l’étude des influences de l’environnement
cellulaire et/ou physiologique sur l’expression des gènes. Via des mécanismes
dont nous n’avons encore qu’une faible compréhension, les processus
épigénétiques peuvent modifier le devenir cellulaire et l’architecture tissulaire.
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
éloquent. Le stress chez les mères pendant la grossesse et au moment
de la conception a des effets pathogènes mais il est encore plus surprenant
d’apprendre que le stress préconceptionnel chez le rat mâle a une
influence sur la santé de sa progéniture… Qu’en est-il alors des pères
humains ?
Jacques Dayan souligne aussi que la pauvreté s’associe à de moindres
stimulations de l’enfant lors des relations précoces. La précarité est
un facteur d’insécurité et de stress, la dévalorisation sociale un facteur
de discorde dans les couples. S’il est prouvé que le stress maternel et
paternel fragilise au long cours l’enfant à naître, et même sa descendance,
Catherine Dolto (2016) pense qu’il est légitime de considérer
que l’inverse est vrai et que la sécurité affective est un facteur favorable
au bon développement. La question de la sécurité affective est au
coeur des objectifs d’un centre parental qui, au titre de la protection
de l’enfance, accueille et accompagne de manière intensive l’enfant à
naître ou déjà né avec son père et sa mère.
Dans des situations de détresse, de précarité sociale et de vulnérabilité
psychique, les réponses les plus courantes consistent à accueillir la
dyade mère-bébé dans des centres maternels ou des unités d’hospitalisation
mère-bébé (hôpital mère-enfant). Ces établissements restent
nécessaires mais ils ne doivent plus être la réponse exclusive dans ces
situations de détresse sociale et psychique. En effet, la Convention
internationale des droits de l’enfant soutient le droit de celui-ci à vivre
en famille, si possible avec ses deux parents. La loi de 1998 de lutte
contre les exclusions préconise d’éviter les séparations des membres
de la famille.
Dans les faits, en France comme dans les autres pays européens, ce droit
est dénié dès le sein maternel à de nombreux enfants issus de familles
en grande précarité psychosociale ! En effet, de nombreuses jeunes
femmes en détresse sont contraintes de se séparer de leur compagnon
et père de leur enfant pour pouvoir être accueillies dans des services
mères-enfants de type centre maternel. Nés au xixe siècle pour secourir
les filles-mères, les hôtels maternels (puis les centres maternels) se sont
surtout développés après la Seconde Guerre mondiale pour venir en
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
aide à des mères isolées, abandonnées ou veuves. Ces établissements
étaient à l’époque un progrès car ils permettaient d’éviter les abandons
d’enfants.
Cependant, ces centres maternels, financés par les conseils départementaux
au titre de la protection de l’enfance, sont confrontés sur
l’ensemble du territoire à un grave paradoxe, celui d’induire, malgré
eux, l’éclatement de couples et de « fabriquer » des foyers dits « monoparentaux
». Or nous savons que les foyers monoparentaux sont les
plus précarisés malgré les aides multiples dont ils bénéficient. Nous
savons aussi que le double attachement de l’enfant à sa mère et à
son père est très favorable à sa bonne santé psycho-affective. Tous
les spécialistes de la petite enfance soulignent l’importance du père
dans son rôle de tiers séparateur pour l’équilibre affectif de l’enfant.
Ainsi le professeur Golse (2015), chef du service de pédopsychiatrie
de l’hôpital Necker (Paris), ancien président de la branche francophone
de la waimh 2, souligne l’importance de la présence concrète,
sensible du père au niveau de son interaction directe avec le bébé
et à travers le soutien qu’il donne à la mère. Il considère que priver
un jeune enfant de son père quand on peut l’éviter constitue une
monstruosité « développementale ». La même question se pose dans
le champ sanitaire. La création d’unités d’hospitalisation mère-bébé
et les hôpitaux mère-enfants ont été également une bonne chose en ce
qu’ils ont permis d’éviter de brutales séparations mère-bébé dans des
situations pathologiques, en soutenant les interactions mère-enfant et
en confirmant ces mères dans leur fonction maternelle. Cependant ce
type de dispositif a aussi ses limites, comme a pu le reconnaître une
pédopsychiatre, longtemps responsable d’une unité mère-bébé, dans
le cas d’un diagnostic de psychose maternelle : il est paradoxal d’hospitaliser
des mères dites psychotiques sans le conjoint et/ou le père
du bébé alors que leur pathologie est justement la tendance à exclure
voire à nier le tiers. Il y a alors un risque iatrogène de renforcer leur
symptôme en alimentant le fantasme que le bébé est le prolongement
____________
2. World Association for Infant Mental Health (association mondiale pour la
santé mentale du bébé).
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
du corps de la mère. Bien entendu, cela n’est pas dans les intentions
des soignants qui souhaitent que le dispositif serve de holding à la
mère pour favoriser la séparation mère-enfant mais ce sont les effets
d’un cadre administratif accueillant exclusivement la dyade. Certes
dans les faits, bon nombre de ces établissements sociaux et ces services
sanitaires s’ouvrent de plus en plus au travail avec le père et souvent
ils en ont vu les bénéfices, mais cet accompagnement reste souvent
informel sans un cadre qui le soutienne suffisamment, car le père
n’est pas administrativement reconnu comme résident ou patient et
la relation de couple n’est pas non plus officiellement repérée comme
incluse dans les soins.
Dans les dispositifs mère-enfant qui s’ouvrent à la prise en compte
des pères, on observe quelques effets pervers. Le travail se fait au
bon vouloir des mères selon les fluctuations de leur humeur et cela
peut même accentuer des positions de toute-puissance (« je prends,
je jette ») préjudiciables au besoin de continuité du bébé. Quand
l’institution autorise les pères à venir librement passer du temps avec
leur compagne et leur bébé dans leur hébergement et leur permet
même de passer plusieurs nuits par semaine avec eux sans qu’ils soient
résidents, elles sont sûrement pleines de bonnes intentions. De fait,
pourtant, ces établissements incitent les pères à profiter du système,
à profiter de la mère et de l’enfant, sans soutenir ni leur engagement
ni leur responsabilité puisqu’ils ne sont soumis à aucune obligation.
Dans ce type de dispositif, seule la dyade mère-bébé est reconnue
administrativement, or « sans la triade, la dyade n’existe pas 3 ». Ce
cadre est donc insatisfaisant et laisse désirer un autre cadre plus cohérent
et contenant. Dans l’intérêt du bébé, pour le prendre en compte
comme sujet en devenir, l’accueil de la triade devrait pouvoir être
reconnu administrativement dans le cadre de l’accompagnement et
des soins précoces. C’est un constat qui a été fait par beaucoup de
professionnels travaillant dans des centres maternels.
____________
3. Expression du professeur Didier Houzel lors de son intervention au congrès de
la waimh en juin 2013 à Besançon.
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
Le projet d’Aire de famille
L’association a été fondée par Brigitte Chatoney en 1997. Elle était
alors cadre dans un centre maternel après avoir été éducatrice en foyer
pour enfants, en aemo (Aide éducative en milieu ouvert) et ensuite
pendant de longues années en psychiatrie pour adultes. Contente de
découvrir le monde de la petite enfance qu’elle ne connaissait pas
vraiment, elle a pris un poste de cadre dans un centre maternel. Et
assez vite, elle a entendu cette réflexion d’une résidente : « C’est
bien d’être accueillis moi et mon enfant mais du coup mon couple
a éclaté. » Bien des professionnels de centre maternel ont entendu ce
type de remarque ; la différence c’est que Brigitte Chatoney en a fait
quelque chose. Très naïvement, elle est allée voir la directrice de son
institution en disant : « Nous sommes dans le cadre de la protection
de l’enfance, il est donc évident que quand il y a un père, quand les
parents souhaitent vivre ensemble, il est absurde de l’exclure ; au nom
de l’intérêt de l’enfant, nous sommes tenus de l’accueillir avec ses
deux parents. » La directrice lui a opposé un refus, alors qu’à l’époque
se présentaient des pères au parloir du centre maternel qui étaient
annoncés de manière anonyme et indifférenciée par un « la visite de
madame est arrivée »… Les pères, apparaissant assez souvent, après
l’arrivée des jeunes femmes au centre maternel, n’étaient pas reconnus
dans leur place, ils étaient même niés : leur lien avec l’enfant et la mère
de l’enfant n’était pas vraiment reconnu, ce qui est très violent. Elle
a assez vite constaté les effets catastrophiques de ce type de dispositif,
surtout pour les mères les plus fragiles : dans les représentations des
professionnels, les pères étaient a priori considérés comme fauteurs de
troubles et violents sans voir que c’est le système qui, en les excluant,
accentuait, voire provoquait, leur violence.
Devant le refus de sa direction, Brigitte Chatoney a donc été conduite
à créer une association en 1997 : Aire de famille. Elle a pris son bâton
de pèlerin pour rencontrer les administrations. Le conseil général
chargé de la protection de l’enfance disait « il y a un père donc ça
ne nous concerne pas », l’État disait « il y a un enfant de moins de
3 ans donc ça ne nous concerne pas ». En 2000 elle fut introduite
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
auprès du cabinet de Ségolène Royal, alors ministre de la Famille,
qui lui dit : « V otre projet c’est une évidence donc il faut le faire. » La
ministre a envoyé un courrier aux administrations les enjoignant de
permettre l’ouverture du centre parental. Ce qui était réputé impossible
est devenu possible. Ainsi, en 2004, Brigitte Chatoney a ouvert
le centre parental Aire de famille à Paris dans le 19e arrondissement.
En 2007, elle a été rejointe par Frédéric Van der Borght, psychologue
à qui elle a demandé d’assumer la responsabilité clinique du
centre parental car de son côté il avait aussi créé une association
(« V ivre en famille ») dans le même objectif. Grâce à son expérience
comme chef de service dans une mecs (Maison d’enfants à caractère
social), il avait réalisé que bien souvent le placement d’un enfant ne
résout rien du problème familial et relationnel qui l’a provoqué. Au
contraire, ce placement pouvait dans un bon nombre de cas accentuer
la souffrance de l’enfant en créant un surcroît de privations affectives
plutôt que de vraiment le protéger. Les difficultés de nombre
de jeunes majeurs qui se retrouvent dans l’errance à la sortie de l’ase
illustrent bien ce constat. D’où l’idée, dans des situations de détresse
et de précarité où il y a un impératif de protection, d’accueillir l’enfant
avec ses parents pour faire un travail d’accompagnement éducatif
et thérapeutique de la famille. Pendant près de dix ans de 2004 à fin
2013, le centre parental Aire de famille a accompagné de manière
intensive sur plusieurs années une cohorte de plus de 53 couples très
ciblés 18-25 ans, en grande difficulté, et plus de 60 enfants.
Sur les 106 jeunes parents accueillis, 40 avaient été suivis par l’ase,
éventuellement la pjj , parfois pratiquement depuis la naissance. Un des
premiers papas accueillis était né en prison. Cinquante-six d’entre eux
avaient connu une période d’errance dans la rue et en squat, certains dès
l’âge de 14 ans, 44 avaient subi des violences intrafamiliales graves et
des situations d’abus, 38 avaient eu des problèmes de toxicomanie et/ou
d’alcool, 31 étaient concernés par toutes les problématiques ci-dessus.
Beaucoup de papas sont passés par la prison ou ont eu des problèmes
judiciaires. Sur les familles accueillies en 2012, 75 % venaient de l’ase,
et parfois les deux membres du couple avec des problématiques assez
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
graves. De fait, le centre parental Aire de famille a accueilli ces jeunes
majeurs dits « incasables » qui deviennent parents. Un grand nombre
de mères accueillies au centre parental n’auraient jamais tenu en centre
maternel et il y aurait eu un placement immédiat de l’enfant. De fait,
très peu d’enfants ont dû être confiés à l’ase à l’issue du séjour à Aire de
famille et une grande majorité de ces enfants sont repérés très positivement
lors de l’entrée à l’école maternelle.
La porte d’entrée au centre parental Aire de famille c’est l’enfant
et sa protection mais l’enfant avec ses parents, car, comme le disait
Winnicott, « un enfant seul, ça n’existe pas ». C’est ce qui légitime
l’accueil du couple parental et par là même du couple conjugal. En
effet, la loi (article 371-1 du Code civil) dit que ce sont les parents
les premiers acteurs de la protection de l’enfant (mais pas exclusivement
bien entendu). Ce travail se base aussi sur tout ce qu’on connaît
aujourd’hui de l’importance de la vie intra-utérine. C’est pour cela
que l’accueil en centre parental est souhaitable le plus tôt possible,
avant la naissance : dans les situations les plus difficiles, c’est extrêmement
bénéfique. L’accueil avant la naissance a permis la résorption
de décollements placentaires, d’éviter des prématurités qui auraient
pu être catastrophiques, de favoriser le développement in utero du
bébé. Il y a beaucoup d’effets préventifs et protecteurs de l’accompagnement
de la triade enfant-parents dès la vie prénatale. L’accompagnement
haptonomique périnatal proposé à chaque couple est, de
ce point de vue, très précieux : il s’agit d’aider les parents à aller à la
rencontre de leur bébé in utero. Les bénéfices sont nombreux : bon
vécu de naissance, confirmation affective de l’enfant, attachement
sécure de l’enfant à ses parents permettant le détachement.
L’approche très pragmatique d’Aire de famille rejoint sur bien des
points les recommandations de John Bowlby dans son rapport
de 1951 « Soins maternels et santé mentale 4 ». Dans ce rapport, il
____________
4. J . Bowlby, « Soins maternels et santé mentale », contribution de l’oms au
programme des Nations unies pour la protection des enfants sans foyer,
Genève, 1951.
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
propose une aide matérielle et psychologique immédiate et sur le long
terme ; il recommande l’accompagnement des couples, de la conjugalité.
Il dit des choses extrêmement intéressantes sur la nécessité d’allier
le soutien à la parentalité avec le soutien à la conjugalité (surtout pour
les mères les plus fragiles), d’allier la prévention des maltraitances sur
l’enfant avec la prévention des violences conjugales. Le soutien du
couple favorise la protection et la santé psychique de l’enfant.
Une stagiaire psychologue a fait cette remarque : « Ce qui est frappant,
c’est que ces jeunes parents ont un espace où leur couple est
aussi soutenu, alors que dans leur entourage on leur dit “non, non,
ne va pas avec ce gars-là, cette fille-là…”. » C’est par exemple le cas
d’un jeune couple d’origine malienne qui a été accompagné avec son
bébé à Aire de famille. Ils n’ont jamais mis les pieds au Mali, mais
le jeune homme était d’une famille dite « noble » alors que la jeune
femme est d’une famille « d’esclaves », donc impossible pour leurs
familles respectives de faire alliance ! En venant au centre parental,
ils ont trouvé un espace reconnaissant et protégeant leur relation de
couple. Pour un jeune couple pris dans le stress du contexte social
actuel, il y a beaucoup de risques d’éclatement. Pour les plus vulnérables,
un soutien intensif peut permettre une continuité du lien de
couple, favorable à la continuité des liens pour le bébé.
Très concrètement, les couples sont accompagnés sur la base de contrats
de séjours de six mois, renouvelables jusqu’aux 3 ans de l’enfant. Dans
un premier temps, ils sont hébergés dans des studios relais puis dans
des appartements en baux glissants (c’est-a‑dire dont le bail peut glisser
au profit de la famille à l’issue de son séjour au centre parental). L’hébergement
n’est pas collectif car ils sont logés en diffus dans le quartier.
Les professionnels ont un double des clés des studios et appartements
et il est convenu avec les familles qu’ils peuvent entrer dans le logement
si la situation de la famille semble inquiétante et qu’on n’arrive
pas à la contacter. Il y a une dimension collective dans le travail d’accompagnement
puisque les familles viennent dans les locaux du centre
parental, elles se rencontrent de manière conviviale. C’est un lieu de
vie, où il y a un salon, une cuisine, un espace pour les enfants, un
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
lieu de change. Le lieu représente un point de repère soutenant pour
les mamans. Elles disent : « C’est comme notre seconde maison. » Au
contrat de séjour est lié un projet d’accompagnement. Différents axes
de travail sont proposés : parentalité, conjugalité, soutien administratif,
soutien au logement, santé, budget, formation, emploi, ouverture au
quartier… C’est un peu comme un repas à la carte composé par chaque
famille qui définit ses objectifs en fonction de ses besoins, contraintes,
défis et désirs. L’accompagnement se fait avec un réseau de partenaires :
maternités, pmi, caf, crèches, missions locales, entreprises d’insertion,
association accompagnant le surendettement, associations culturelles…
Par contre, tout ce qui est du registre de l’accompagnement psychologique
est travaillé en interne car il est apparu important que l’équipe
assume le transfert que les résidents font sur elle et assure la fonction
thérapeutique de l’institution. Une orientation vers l’extérieur risquerait
d’avoir des effets de dispersion et d’éclatement. Cela dit, évidemment,
rien n’empêche un résident de consulter à l’extérieur si cela lui
convient mieux mais, en général, c’est plutôt en fin de séjour qu’ils sont
prêts à cette démarche.
Le centre parental Aire de famille se réfère à différentes approches
théorico-cliniques : l’haptonomie, en tant que science de l’affectivité ;
les neurosciences ; la psychanalyse et la théorie de l’attachement ;
l’approche systémique, la thérapie familiale en particulier à travers la
clinique de concertation 5.
Ce qui fait le lien entre ces quatre approches, c’est la pensée du
complexe et la transdisciplinarité qui aide à sortir d’un mode d’approche
dogmatique et clivant. En effet, l’accompagnement intensif de
la triade relationnelle enfant-parents est un objet complexe. La référence
à l’haptonomie est particulièrement investie à Aire de famille
car l’accompagnement de la maturation affective est au cœur de son
travail de prévention précoce et de protection. Le vécu affectif d’un
être humain commence dès la conception. En effet, par le contact
haptonomique, ses parents peuvent rencontrer affectivement le bébé
____________
5. Voir site : www.concertation.net
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
in utero tout comme après la naissance. Cela le confirme affectivement
et construit sa sécurité de base interne. Cela confirme aussi les
parents et construit les bases d’un attachement « sécure » permettant
un juste détachement. L’indication la plus connue de l’haptonomie
se situe certes dans le champ de la périnatalité, mais il y a d’autres
applications de la conception jusqu’à la fin de la vie dans les domaines
de l’accompagnement éducatif, du handicap et de la psychothérapie
auprès d’enfants et d’adultes 6. Dans la pratique d’Aire de famille,
l’haptonomie enrichit non seulement l’accompagnement périnatal
mais aussi la qualité de présence dans la relation à l’autre.
Des résultats encourageants
Le chemin de la reconstruction de ces jeunes parents est long et rien
n’est gagné à l’avance. Cependant l’évolution des plus de soixante
enfants qui sont nés et ont grandi au centre parental entre 2004 et
2013 est très encourageante. À 3 ans, la grande majorité se montre
tout à fait préparée pour réussir l’entrée à l’école maternelle, ils s’y
montrent éveillés et actifs, ce qui fait la fierté de leurs parents. On
peut noter aussi que :
• L’accompagnement prénatal a permis dans plusieurs cas de
prévenir des risques de prématurité ;
• Il a permis également la mise en place de l’allaitement malgré
une réticence initiale ;
• La présence bienveillante des professionnels a évité la répétition
de comportements maltraitants et les effets néfastes de
l’isolement ;
• Ont pu être mis en place, dans tous les cas, un mode d’accueil
sécurisant pour les enfants ;
• L’instauration d’un suivi médical et psychologique approprié à
l’enfant ;
____________
6. Pour plus d’informations voir le site du cirdh-Frans Veldman : www.haptonomie.
org
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
• Un soutien au tissage des liens avec la famille élargie, en particulier
avec les grands-parents ;
• Tous les enfants accompagnés, depuis l’ouverture du centre
parental, se développent bien sur le plan psychomoteur et sur
le plan du langage ;
• Tous les enfants de 3 ans ont été scolarisés à l’école maternelle et
s’y adaptent de manière tout à fait satisfaisante. Ils s’y montrent
très éveillés et actifs ;
• La sortie du centre parental n’a nécessité aucune mesure de
protection en dehors du milieu familial.
Même en cas de séparation du couple conjugal, tous les enfants bénéficient
encore de l’investissement de leurs deux parents.
Fédération nationale des centres parentaux
L’organisation d’un colloque au Sénat en septembre 2010, à l’occasion
de la parution du livre Protéger l’enfant avec ses deux parents (Chatoney
et Van der Borght, 2010) retraçant l’expérience et les méthodes du
centre parental Aire de famille, a permis de rassembler des acteurs de
la protection de l’enfance ayant déjà créé un centre parental (ou avec
le projet d’en créer) dans un collectif national. Ce collectif fédérant
des professionnels et des établissements de toute la France (y compris
la Réunion) a débouché sur la création d’une Fédération nationale de
centres parentaux (fncp) 7 en juin 2013 dans le but de promouvoir
le développement des centres parentaux, l’évolution des pratiques en
protection de l’enfance et la recherche. Des réunions nationales sont
organisées plusieurs fois par an autour d’intervenants experts dans
les questions de parentalité et de protection de l’enfance. Des journées
régionales se mettent en place en paca, dans le Grand Ouest
et les Hauts-de-France pour favoriser des échanges de pratiques et
d’expériences.
____________
7. V oir son site www.fncp-france.fr
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
En novembre 2014, la fncp a organisé un colloque au cese introduit
par Jean-Paul Delevoye sur le thème « Le centre parental, une révolution
pacifique en protection de l’enfance ». La fncp, avec le soutien de
la Fondation de France, cofinance avec l’Observatoire national de la
protection de l’enfance (onpe) une recherche menée par le Centre de
recherche éducation et formation de l’université Paris Ouest Nanterre
ayant pour thème « Les interactions parents-enfants-professionnels
en centre parental : contextes institutionnels, processus et effets ». Le
rapport de cette recherche scientifique sera remis en octobre 2017.
Un des objectifs du collectif puis de la fédération était aussi de donner
un cadre juridique aux centres parentaux. Une première étape a été
franchie par une préconisation du plan national de lutte contre la
pauvreté de janvier 2013.
Un travail de mobilisation et de concertation tenace a permis d’aboutir
à cet objectif : la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016, art. 20 8, relative
à la protection de l’enfance introduit dans le Code de l’action sociale
et des familles un nouvel article L. 222-53 : « Peuvent être pris en
charge dans un centre parental, au titre de la protection de l’enfance,
les enfants de moins de trois ans accompagnés de leurs deux parents
quand ceux-ci ont besoin d’un soutien éducatif dans l’exercice de
leur fonction parentale. Peuvent également être accueillis, dans les
mêmes conditions, les deux futurs parents pour préparer la naissance
de l’enfant. » Les centres parentaux membres de la fncp sont d’une
grande variété dans leur fonctionnement, leur méthode et références
cliniques mais ils se retrouvent dans une charte du centre parental
rédigée collectivement et qui a été transmise au ministère de la Famille
pour servir de référence pour l’application de cet article de la loi.
Charte du centre parental
La loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant introduit, dans
le Code de l’action sociale et des familles, un nouvel article L. 222-5-3
____________
8. Dans le titre II de la loi : sécuriser le parcours de l’enfant en Protection de
l’enfance.
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
pour permettre l’accueil en centre parental de l’enfant avec ses deux
parents. Le centre parental est un établissement (ou un service) qui
accueille au titre de la protection de l’enfance l’enfant né ou à naître (au
plus tôt au cours de la grossesse) avec ses deux parents qui ont le projet
de l’élever ensemble. Ces établissements sont principalement financés
par l’ase, et mobilisent le plus souvent des cofinancements au titre de la
santé et du logement notamment.
La finalité d’un centre parental est la protection des premiers liens d’attachement
du bébé et la confirmation de ses deux parents comme premiers
acteurs de la protection de leur enfant. Un centre parental vise :
• à assurer la sécurité physique et affective de l’enfant pour soutenir
son développement ;
• à prévenir les maltraitances, les négligences, et toutes formes de
violences préjudiciables au développement de l’enfant (violences
sur l’enfant, violences au sein du couple) ;
• à favoriser un équilibre familial en respectant la place de chacun.
L’accueil et l’accompagnement de la famille dans un centre parental se
fonde sur l’alliance entre parents et professionnels autour de la prise
en compte des besoins de l’enfant et du respect de ses droits. Il nécessite
un travail interdisciplinaire de « prendre soin » selon une pédagogie
et des outils propres à chaque projet d’établissement.
Le séjour en centre parental de l’enfant avec ses parents permet un
accompagnement fiable et contenant dans la proximité du quotidien.
Ce type d’établissement assure un cadre institutionnel protecteur
permettant :
• de mobiliser et de valoriser les compétences des parents ainsi
que leurs ressources ;
• de rejoindre les personnes là où elles en sont et de promouvoir
leurs projets de vie ;
• de travailler l’origine des difficultés au-delà des symptômes.
Une première définition du centre parental avait été proposée par le
collectif national des centres parentaux le 28 septembre 2012 ; elle
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Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
a été reprise lors du bureau de la Fédération nationale des centres
parentaux le 15 mars 2017, tenant compte de l’inscription dans la loi
des centres parentaux. Elle constitue désormais une base commune
a minima des adhérents de la fédération, sachant que chaque centre
parental a évidemment ses caractéristiques propres (organisation,
modalités d’intervention, indications d’admissions, spécificité des
publics accueillis, pédagogie et outils utilisés, références théoriques…)
selon son projet associatif, son environnement, ses ressources et son
histoire…
Depuis décembre 2013, l’association Aire de famille ne gère plus
directement de centre parental 9. Suite à une fusion absorption malencontreuse,
l’association Aire de famille a été provisoirement dissoute
en juillet 2012, puis a été recréée en décembre 2013. À cette occasion,
elle a protégé le nom « aire de famille » à l’inpi 10. Elle est seule
détentrice du concept, des méthodes spécifiques et surtout de l’esprit
d’Aire de famille (www.airedefamille.org). Depuis 2015, Aire de
famille a démarré une activité de formation et de transmission à la
demande d’adhérents à la fncp. Dans cinq départements, elle a formé
plus de cent stagiaires, professionnels de l’ase, de la pmi, de centres
parentaux et maternels : médecins, sages-femmes, puéricultrices,
éducateurs spécialisés, éducateurs de jeunes enfants, assistantes
sociales, veilleurs de nuit… La direction et les cadres ont participé à
ces formations, ce qui est indispensable pour que celles-ci induisent
des transformations qui aient du sens.
Il s’agit de transmettre l’expérience et l’esprit d’Aire de famille et d’accompagner
des équipes mettant en oeuvre un centre parental ou ayant
le projet d’en monter un. L’objectif est d’aider les professionnels à modifier
leurs représentations et à transformer leurs postures professionnelles
en partant de l’analyse de situations cliniques et de leurs pratiques
____________
9. L’établissement de la rue Riquet (Paris 19e) géré par l’association Estrelia n’a
plus aucun lien avec Aire de famille et ne fait pas partie de la fncp.
10. Institut national de la propriété industrielle.
264
Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
professionnelles. Il s’agit aussi d’apprendre à construire un cadre souple
et contenant, favorisant un contexte de confiance et de maturation.
Ces formations sont très intenses et ouvrent les professionnels à un
autre regard sur leur positionnement qui les aide à dépasser des a
priori pour mieux comprendre la question de l’alliance avec les
familles autour des besoins de l’enfant.
Label « Aire de famille » et travail de création
d’un projet pilote
Au sein de la fncp, quelques adhérents souhaitent fortement s’inspirer
du « modèle » d’Aire de famille pour développer un centre parental.
Pour répondre à ces demandes, Aire de famille va mettre en place un
processus de labellisation des structures qui le souhaiteraient. L’association
ars95 dans le Val-d’Oise a déjà signé une convention avec
Aire de famille dans ce sens. Cela supposera notamment que l’ensemble
des professionnels concernés puissent bénéficier d’un temps
de formation suffisant par Aire de famille. L’objectif de ce label est de
transmettre et de démultiplier des expériences s’inspirant de l’esprit
d’Aire de famille. Au-delà de l’application de méthodes et des références
théorico-cliniques, il s’agira de créer un contexte autorisant
chacun à prendre sa place, permettant la rencontre et favorisant un
climat nourrissant affectivement, très protecteur pour le bébé.
Pour soutenir ce processus d’essaimage, Aire de famille a le projet de
créer un centre parental « pilote » en partenariat avec une autre association
qui en assurera la gestion logistique, administrative et financière.
En lien avec un laboratoire de recherche universitaire et des
maternités, ce dispositif pourrait développer des recherches-actions
sur des pratiques de prévention précoce et de protection de l’enfance
en périnatalité, associant un accompagnement psychosocial intensif
de la triade parents-bébé et des soins sanitaires. La prévention précoce
est la priorité soulignée par le rapport « Démarche de consensus sur
les besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance »
265
Le centre parental, un espace de prévention précoce protégeant le tissage affectif…
présenté au ministre de la Famille en mars 2017 11. Compte tenu
de la baisse des moyens financiers des départements et de la nécessité
de dépasser le clivage entre la protection de l’enfance et les soins
pédopsychiatriques, il est urgent de mettre en place des structures qui
incarnent réellement cette priorité en associant des financements ase
et sanitaire.
Accueillir, accompagner et héberger au plus tôt au cours de la grossesse,
des jeunes couples en situation de grande détresse sociale et
psychique, qui deviennent parents de leur premier enfant, est certes
un risque. Il s’agit surtout d’un pari et d’un investissement pour
l’avenir. Le désir d’accueillir son enfant, en dépit des fractures et des
impasses vécues, peut devenir un tremplin pour réaxer son existence.
Ce nouveau-né offre l’occasion d’une transformation de ses parents.
Ce défi revient à travailler sur les fondamentaux de la protection de
l’enfance : favoriser la naissance d’une famille, terreau premier du lien
social, et donner de la place à la « trinification » de la relation de l’enfant
à ses parents, selon la belle expression de Bernard This 12.
« Bien s’occuper des tout-petits et de leurs parents, c’est faire de l’humain
un horizon, et c’est le meilleur et peut-être le seul véritable
rempart contre la barbarie » (Dolto, 2016).
Bibliographie
Chatoney, B. 2014. « De la protection maternelle au centre parental »,
Lien social, 1149, p. 36-37.
Chatoney, B. ; Van der Borght, F. 2010. Protéger l’enfant avec ses
deux parents, le centre parental, une autre voie pour réussir la prévention
____________
11. http://www.familles-enfance-droitsdesfemmes.gouv.fr/publications/enfance/
publications-protection-de-lenfance/rapport-demarche-de-consensus-sur-lesbesoins-
fondamentaux-de-lenfant-en-protection-de-lenfance/
12. Psychiatre, psychanalyste (1928-2016). Auteur de nombreux ouvrages dont Le
père : acte de naissance aux éditions Le Seuil (1980). Il a créé les Maisons Vertes
avec Françoise Dolto et a fortement contribué à l’introduction de l’haptonomie
en France.
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Contraste 46 ■ Environnement et développement précoce
précoce, Paris, Éditions de l’Atelier (épuisé, disponible à Aire de famille,
tél. 06 14 79 41 72).
Dayan, J. (sous la direction de). 2014. Psychopathologie de la périnatalité et
de la parentalité, Paris, Masson, coll. « Les âges de la vie ».
Dolto, C. 2016. « Épigénétique et plasticité cérébrale », Présence haptonomique,
12, actes du VIe congrès international d’haptonomie.
Golse, B. 2015. « Les centres parentaux veulent sortir de l’ombre », ash,
2906, 17 avril.
Van der Borght, F. 2014. « Le centre parental, un espace pour soutenir
les premiers liens affectifs : soutenir le tissage des liens affectifs de la triade
bébé-parents », dans C. Bauby, M.-C. Colombo (sous la direction de), Être
parents aujourd’hui, un jeu d’enfants ?, Toulouse, érès, coll. « 1001 BB ».
Van der Borght, F. 2015. « Le centre parental Aire de famille : soutenir
le tissage des liens affectifs de la triade bébé-parents », dans P. Delion,
D. Mellier, S. Missonnier (sous la direction de), L’enfant dans sa famille,
Toulouse, érès, coll. « 1001 BB ».
Van der Borght, F. ; Hernandez, V. 2016. « Accueillir les pères adolescents
en centre parental », Soins Pédiatrie/Puériculture, 291, p. 31-33.
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La tendresse est vitale pour l’être humain